lundi 8 août 2011

Polémique autour de la restauration du retable d'Issenheim

Débutée le 6 juillet 2011, la restauration du retable d'Issenheim conservé au musée d'Unterlinden à Colmar fait déjà parler d'elle...

Retable d'Issenheim fermé
La Crucifixion et la Mise au Tombeau

Ce joyau de l'art occidental avait été commandé par le précepteur de la commanderie des Antonins d'Issenheim (non loin de Colmar), Guy Guers, au sculpteur Nicolas de Hagenau et au peintre Mathias Grünewald. En 1792 le retable est transporté à Colmar pour le protéger de la destruction. C'est en 1852 qu'il est ensuite transféré dans l'église de l'ancien couvent des Dominicaines d'Unterlinden, actuel musée d'Unterlinden.





Retable fermé
Saint Antoine
Retable fermé
Saint Sébastien

La partie sculptée par Nicolas de Hagenau vers 1490 représente saint Augustin, saint Antoine et saint Jérôme. La partie peinte par Mathias Grünewald entre 1512 et 1516 se développe sur 11 panneaux, visibles en trois phases : le retable fermé (la crucifixion, encadrée par saint Sébastien à gauche et saint Antoine à droite), la première ouverture du retable (de gauche à droite : l'Annonciation, le Concert des Anges, la Nativité et la Résurrection) et la seconde ouverture du retable (de gauche à droite : la visite de saint Antoine à saint Paul, les trois figures sculptées de Hagenau et la Tentation de saint Antoine). La prédelle peinte représente la Mise au Tombeau, et celle sculptée le Christ et les Apôtres.


Retable d'Issenheim, 1ère ouverture
Panneau central :
le Concert des Anges et la Nativité

Les panneaux étaient ouverts ou fermés selon l'époque de l'année, et les malades atteints du "feu sacré" ou "feu de saint Antoine", soignés dans cette commanderie, étaient amenés devant le retable pour prier et demander protection ou guérion au saint, comme une sorte de thérapeutique de choc. La représentation du Christ crucifié, transpercé d'épines est particulièrement poignante, et permettait sans doute aux malades de s'identifier à ses souffrances.






Retable d'Issenheim, 1ère ouverture
L'Annonciation et la Résurrection
 D'après un communiqué daté du 1er août 2011 publié sur le site du musée d'Unterlinden de Colmar, ce retable avait déjà fait l'objet, à maintes reprises, de restaurations ou interventions, et ce depuis le 18ème siècle (1796, 1842, 1903, 1917-1918, 1933, 1955, 1974 et 1990). L'objectif de l'intervention menée depuis le 6 juillet 2011 par deux restauratrices serait donc "l'amincissement des vernis superficiels" du panneau de la Tentation de saint Antoine, qui avaient jauni au fil des siècles, mais aussi enlever les repeints. Si cette restauration s'avère efficace, l'opération sera menée sur l'ensemble des panneaux. Mais pour l'heure, la restauration est arrêtée en attendant la prochaine réunion du comité scientifique...



Retable d'Issenheim, 2ème ouverture
Partie sculptée par Hagenau
 Dans un article daté du 26 juillet 2011, Didier Rykner, rédacteur en chef de la Tribune de l'Art, dénonce "ce projet de restauration qui ressemble davantage à une opération de communication qu’à une entreprise scientifique menée avec la rigueur que nécessite toute action de ce genre". Le but de cet article n'est absolument pas de remettre en cause le travail des restauratrices, mais plutôt de se demander si cette restauration était vraiment nécessaire, et si elle mesure bien les risques encourus par le retable, notamment lors de son transfert dans l'eglise des Dominicains, pendant les travaux de la chapelle du musée. Plusieurs autres questions sont également soulevées par Didier Rykner : la légitimité du comité scientifique, qui ne rassemble pas tous les spécialistes de Grünewald, la rapidité d'intervention après la décision du comité (le lendemain !), l'aspect "tâtonnant" de ce projet, qui teste d'abord l'intervention sur un premier panneau avant de passer aux autres, l'absence de mise en concurrence, le coût de l'opération, dont tous les fonds n'ont d'ailleurs pas été réunis (il manque aujourd'hui 150 000 €)...

Retable d'Issenheim, 2ème ouverture
La visite de saint Antoine à saint Paul
La Tentation de saint Antoine



Le communiqué publié sur le site du musée d'Unterlinden, et repris dans un deuxième article de la Tribune de l'Art, cherche à répondre à toutes ces questions bien pertinentes, en reprenant point par point l'évolution de la décision prise ce 5 juillet, sans être réellement convaincant.






La Tentation de saint Antoine
Lacune présente sur le manteau du saint

Aujourd'hui, lorsque l'on souhaite venir admirer le retable, et notamment les deux panneaux de la Tentation de saint Antoine et de la visite de saint Antoine à saint Paul, on peut ressentir ce début de travail à peine commencé, par la présence d'une estrade vide servant aux restauratrices, et d'une petite feuille de papier scotchée sur un côté, expliquant brièvement l'avancement de cette "campagne" de restauration : les vernis superficiels ont été enlevés (bien rapidement semblerait-il), et deux petites photos "avant-après" viennent illustrer ces propos. Sur un deuxième feuillet, on nous explique la présence de cette étrange tache blanche sur le vêtement bleu du saint au milieu des démons : c'est une lacune ! Pour les amateurs, on comprendra un repeint qui a été enlevé. Mais quid de la restauration de cette lacune ? L'enlèvement de ce repeint était-il justifié ? Aucun communiqué n'en parle, et nous attendons donc la prochaine réunion du comité scientifique pour en savoir plus, et tout du moins, le "retour de congé de Pantxika de Paepe [conservateur en chef du musée d'Unterlinden]", d'après Jean Lorentz, président de la société Schonhauger.

A suivre...



A lire :
- Franck Buchy, "Le retable d'Issenheim est-il menacé ?", les Dernières Nouvelles d'Alsace, 29 juillet 2011, p. 1


Charlotte Romer

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