mercredi 31 août 2011

Les étranges photographies de Claude Cahun

Autoportrait, 1929
© Musée d’Art Moderne
de la Ville de Paris /
Parisienne de Photographie
"Je veux scandaliser les purs, les petits enfants, les vieillards par ma nudité, ma voix rauque, le réflexe évident du désir...", Aveux non avenus, 1930.
Les images étranges de la photographe Claude Cahun hantent encore les galeries du Jeu de Paume jusqu'au 25 septembre...
Le visiteur non averti se retrouve immédiatement plongé dans un univers à la fois onirique, étrange et déroutant, en découvrant dans la première partie de l'exposition une série d'autoportraits de cette artiste androgyne au physique dérangeant, qu'elle met en scène et utilise comme outil d'exploration avant-gardiste. L'exposition présente le travail de la photographe sous différentes thématiques : la métamorphose de l'identité, à travers ses autoportraits allant de 1913 à 1920. Claude Cahun se représente sous plusieurs aspects, travestie, parfois le crâne rasé, déguisée, le regard fixant l'objectif, anticipant presque les performances contemporaines.



Sans titre, 1936
© Photo Béatrice Hatala


L'objet est également un sujet récurrent dans son oeuvre autour de 1925, l'objet mis en scène, composé, photomonté. Cette double démarche, à la fois plastique et  symbolique, rappelle les travaux de Man Ray, aussi bien sur l'objet lui-même que sur le corps féminin. Le désir sexuel est également abordé dans la partie sur les "métaphores du désir". Mettant de nouveau son corps en scène, dans des situations ou positions subjectives/subversives, Claude Cahun tente de retrouver l'essence même du désir, désir qu'elle partageait avec sa compagne, Suzanne Malherbe, qui participa à certains de ses travaux, dont l'ouvrage le plus significatif de la photographe : Aveux non avenus (1930), dans lequel Claude Cahun expose ses grandes thématiques et ses obsessions, les illustrations étant le fruit de la collaboration des deux femmes.


Aveux non avenus, pl. 1
1929-1930
© Photo Béatrice Hatala
A la fois photographe et écrivain, Claude Cahun oriente politiquement son travail à partir des années 1930 face à la montée du nazisme. Ses oeuvres s'en ressentent fortement à cette époque et l'exposition présente des lettres et documents très significatifs de cette période mouvementée. La démarche intellectuelle de Claude Cahun nous emmène enfin au-delà du visible, au-delà du réel, à travers des images codées, comme la série Le Chemin des Chats (vers 1949 et 1953), où l'artiste, telle une aveugle, se laisse guider par un chat tenu en laisse, le long d'un chemin bordant un cimetière.
Enfin, une projection de 45 minutes permet de comprendre certains aspects de son travail et de sa personnalité hors du commun.





Symboliste, surréaliste, subversif, mais également poétique et métaphorique, tel est le travail de Claude Cahun que de nombreuses expositions tentent de redécouvrir depuis les années 1980, et que cette rétrospective permet de mieux appréhender.

A voir au Jeu de Paume jusqu'au 28 septembre.

Charlotte Romer

lundi 8 août 2011

Polémique autour de la restauration du retable d'Issenheim

Débutée le 6 juillet 2011, la restauration du retable d'Issenheim conservé au musée d'Unterlinden à Colmar fait déjà parler d'elle...

Retable d'Issenheim fermé
La Crucifixion et la Mise au Tombeau

Ce joyau de l'art occidental avait été commandé par le précepteur de la commanderie des Antonins d'Issenheim (non loin de Colmar), Guy Guers, au sculpteur Nicolas de Hagenau et au peintre Mathias Grünewald. En 1792 le retable est transporté à Colmar pour le protéger de la destruction. C'est en 1852 qu'il est ensuite transféré dans l'église de l'ancien couvent des Dominicaines d'Unterlinden, actuel musée d'Unterlinden.





Retable fermé
Saint Antoine
Retable fermé
Saint Sébastien

La partie sculptée par Nicolas de Hagenau vers 1490 représente saint Augustin, saint Antoine et saint Jérôme. La partie peinte par Mathias Grünewald entre 1512 et 1516 se développe sur 11 panneaux, visibles en trois phases : le retable fermé (la crucifixion, encadrée par saint Sébastien à gauche et saint Antoine à droite), la première ouverture du retable (de gauche à droite : l'Annonciation, le Concert des Anges, la Nativité et la Résurrection) et la seconde ouverture du retable (de gauche à droite : la visite de saint Antoine à saint Paul, les trois figures sculptées de Hagenau et la Tentation de saint Antoine). La prédelle peinte représente la Mise au Tombeau, et celle sculptée le Christ et les Apôtres.


Retable d'Issenheim, 1ère ouverture
Panneau central :
le Concert des Anges et la Nativité

Les panneaux étaient ouverts ou fermés selon l'époque de l'année, et les malades atteints du "feu sacré" ou "feu de saint Antoine", soignés dans cette commanderie, étaient amenés devant le retable pour prier et demander protection ou guérion au saint, comme une sorte de thérapeutique de choc. La représentation du Christ crucifié, transpercé d'épines est particulièrement poignante, et permettait sans doute aux malades de s'identifier à ses souffrances.






Retable d'Issenheim, 1ère ouverture
L'Annonciation et la Résurrection
 D'après un communiqué daté du 1er août 2011 publié sur le site du musée d'Unterlinden de Colmar, ce retable avait déjà fait l'objet, à maintes reprises, de restaurations ou interventions, et ce depuis le 18ème siècle (1796, 1842, 1903, 1917-1918, 1933, 1955, 1974 et 1990). L'objectif de l'intervention menée depuis le 6 juillet 2011 par deux restauratrices serait donc "l'amincissement des vernis superficiels" du panneau de la Tentation de saint Antoine, qui avaient jauni au fil des siècles, mais aussi enlever les repeints. Si cette restauration s'avère efficace, l'opération sera menée sur l'ensemble des panneaux. Mais pour l'heure, la restauration est arrêtée en attendant la prochaine réunion du comité scientifique...



Retable d'Issenheim, 2ème ouverture
Partie sculptée par Hagenau
 Dans un article daté du 26 juillet 2011, Didier Rykner, rédacteur en chef de la Tribune de l'Art, dénonce "ce projet de restauration qui ressemble davantage à une opération de communication qu’à une entreprise scientifique menée avec la rigueur que nécessite toute action de ce genre". Le but de cet article n'est absolument pas de remettre en cause le travail des restauratrices, mais plutôt de se demander si cette restauration était vraiment nécessaire, et si elle mesure bien les risques encourus par le retable, notamment lors de son transfert dans l'eglise des Dominicains, pendant les travaux de la chapelle du musée. Plusieurs autres questions sont également soulevées par Didier Rykner : la légitimité du comité scientifique, qui ne rassemble pas tous les spécialistes de Grünewald, la rapidité d'intervention après la décision du comité (le lendemain !), l'aspect "tâtonnant" de ce projet, qui teste d'abord l'intervention sur un premier panneau avant de passer aux autres, l'absence de mise en concurrence, le coût de l'opération, dont tous les fonds n'ont d'ailleurs pas été réunis (il manque aujourd'hui 150 000 €)...

Retable d'Issenheim, 2ème ouverture
La visite de saint Antoine à saint Paul
La Tentation de saint Antoine



Le communiqué publié sur le site du musée d'Unterlinden, et repris dans un deuxième article de la Tribune de l'Art, cherche à répondre à toutes ces questions bien pertinentes, en reprenant point par point l'évolution de la décision prise ce 5 juillet, sans être réellement convaincant.






La Tentation de saint Antoine
Lacune présente sur le manteau du saint

Aujourd'hui, lorsque l'on souhaite venir admirer le retable, et notamment les deux panneaux de la Tentation de saint Antoine et de la visite de saint Antoine à saint Paul, on peut ressentir ce début de travail à peine commencé, par la présence d'une estrade vide servant aux restauratrices, et d'une petite feuille de papier scotchée sur un côté, expliquant brièvement l'avancement de cette "campagne" de restauration : les vernis superficiels ont été enlevés (bien rapidement semblerait-il), et deux petites photos "avant-après" viennent illustrer ces propos. Sur un deuxième feuillet, on nous explique la présence de cette étrange tache blanche sur le vêtement bleu du saint au milieu des démons : c'est une lacune ! Pour les amateurs, on comprendra un repeint qui a été enlevé. Mais quid de la restauration de cette lacune ? L'enlèvement de ce repeint était-il justifié ? Aucun communiqué n'en parle, et nous attendons donc la prochaine réunion du comité scientifique pour en savoir plus, et tout du moins, le "retour de congé de Pantxika de Paepe [conservateur en chef du musée d'Unterlinden]", d'après Jean Lorentz, président de la société Schonhauger.

A suivre...



A lire :
- Franck Buchy, "Le retable d'Issenheim est-il menacé ?", les Dernières Nouvelles d'Alsace, 29 juillet 2011, p. 1


Charlotte Romer

mercredi 3 août 2011

Les créations de Madame Grès au musée Bourdelle

Madame Grès par Crespi,
Femina, avril 1949
"Je voulais être sculpteur. Pour moi, c'est la même chose de travailler le tissu ou la pierre", explique Germaine Krebs, alias Madame Grès (1903-1993).

Ce sont ses créations pour La Guerre de Troie n'aura pas lieu de Jean Giraudoux en 1935 qui la lancent. D'abord connue sous le nom de Alix, la couturière ouvre en 1942 sa propre maison de couture au 1 rue de la Paix sous le nom de Grès, anagramme tronquée du prénom de son mari : Serge.

En 1988 se referme près d'un demi siècle de créations intemporelles et sculpturales, dont on retiendra tout particulièrement le "pli Grès", caractéristique de ce style à l'antique, à la fois austère, élégant et néoclassique.


Studio Dorvine, 1934
Alix, modèle n° 102, hiver 1934



Fermé jusqu'au printemps 2012, le musée Galliéra a choisi le musée Bourdelle pour sa première exposition hors les murs, consacrée à la toute première rétrospective parisienne des créations de Madame Grès.

Très épurée, la présentation permet au visiteur de se promener dans les salles du musée en découvrant, au fur et à mesure, les différentes périodes de création de la couturière, associées aux différentes ambiances du musée : de la salle des plâtres à l'aile contemporaine Porzamparc, en passant par l'appartement et l'atelier du sculpteur.





Automne-Hiver 1952-53
Robe du soir.
Jerseys de viscose

Défilent alors sous nos yeux fascinés parmi les pièces les plus emblématiques provenant du fonds Galliéra et de quelques mains privées : des robes "sculptées", hors du temps, aux drapés infinis, à l'élégance romantique. De nombreuses photographies de mode nous projettent tout d'abord dans les années 1930, et quelques dessins des costumes créés pour la pièce de Giraudoux par Jean Cocteau et Christian Bérard achèvent le tableau. Mais ce sont dans les salles suivantes que l'on peut admirer l'immense talent de Madame Grès, à travers des coupes et plissés audacieux, presque coquins, comme cette robe plissée à longueur asymétrique de couleur orange vif.

Puis les robes s'enchainent, toutes plus incroyables les unes que les autres, toujours plus plissées, toujours plus complexes, et à la fois si épurées... Parallèlement sont exposés des dessins, croquis et études de la main de Madame Grès, don de la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent au profit du musée Galliéra, à l'occasion de cette rétrospective. Ces travaux préliminaires aident à appréhender le travail de cette créatrice, qui reçut en 1976 un Dé d'or pour ses robes du soir en drapé.





Printemps-été 1946
Robe de jour
Jersey de laine vert
Doublure en mousseline
de soie écrue


Le parcours se termine dans la salle contemporaine du musée, au milieu des bas-reliefs d'Antoine Bourdelle. De petites robes, au plissé élégant ou plus simples, mais tout aussi structurées, terminent le parcours, illustré par des photographies de Richard Avedon, Henry Clarke ou encore Guy Bourdin.



Il ne vous reste que quelques semaines pour venir découvrir cette extraordinaire exposition au musée Bourdelle.



Charlotte Romer