lundi 16 mai 2011

Dans les rêves d'Odilon Redon

Le Grand Palais à Paris présente, jusqu'au 20 juin 2011, une rétrospective de l'oeuvre étrange de l'artiste Odilon Redon, assez peu connu en France, mais pourtant très riche.

Araignée souriante, 1881

Cette exposition nous plonge dans un univers peuplé de monstres, de têtes coupées et d'yeux immenses regardant vers le ciel.
Odilon Redon commence réellement son apprentissage auprès d'un graveur lithographe, Rodolphe Bresdin, à Bordeaux, dans les années 1865. C'est à ses côtés qu'il forgera sa véritable identité artistique et qu'il commencera son travail sur les "Noirs", dessins au fusain, qui permettent en réalité de faire apparaître la lumière. Ayant du mal à faire accepter son style et son univers, alors que les Impressionnistes sont en plein essor, et ne supportant pas les moqueries, Redon décide d'utiliser la lithographie comme moyen de diffusion plus large, dans un autre domaine, celui de la littérature.



Eclosion, 1879,
Album Dans le Rêve (pl.1)
C'est en 1879 que Redon  publie son premier album de lithographies initulé Dans le Rêve. Le spectateur découvre alors, à travers ces planches dominées par un noir profond, un univers très particulier, issu d'un romantisme décadent, proche du symbolisme, et se posant même comme précurseur de ce que l'on appellera plus tard le surréalisme. Redon a toujours été passionné par les sciences naturelles, initié dès 1857 par son ami le botaniste Armand Clavaud aux recherches scientifiques contemporaines, aux ouvrages de Baudelaire, Darwin ou encore Flaubert, qui sera d'ailleurs le sujet de l'un de ses albums... C'est de cette rencontre également que nait son intérêt pour la poésie hindoue et la religion qui s'y rattache. Ces premières planches, formant un cycle allant de la vie (Eclosion, pl.1), à la mort (une tête de martyr), nous plongent dans un monde onirique, constitué d'images tirées de rêves, de l'inconscient de l'artiste, mais également d'une nature étrange. L'élément omniprésent, que l'on retrouvera en filigrane dans tout son oeuvre, est l'oeil, ou plutôt une immense prunelle, tantôt flottant dans les airs, tantôt sous forme de ballon s'élevant vers des cieux inconnus (L'Oeil, comme un ballon bizarre se dirige vers l'INFINI, pl. 1 de A Edgar Poe), ou encore présentée comme une apparition au milieu d'une architecture indéterminée (Vision, pl. 8 de Dans le Rêve). L'exposition nous présente, tour à tour, les albums qui ont fait le succès de Redon, auprès des milieux artistiques, mais surtout littéraires : "Autant que Baudelaire, M. Redon mérite le superbe éloge d'avoir créé un frisson nouveau ... Seul de tous nos artistes, peintres, littérateurs, musiciens, il nous paraît avoir atteint à cette originalité absolue qui, aujourd'hui dans notre monde si vieux, est aussi le mérite absolu,"  rapporte Emile Hennequin dès février 1882, grand critique d'art, qui jouera un rôle important dans la carrière d'Odilon Redon, malgré l'accueil déconcerté et déconcertant du public et de la critique.


L'oeil, comme un ballon bizarre
se dirige vers l'INIFNI, 1882
Album A Edgar Poe (pl.1)
La seconde grande rencontre de Redon sera celle d'Edgar Poe, dont les textes sont traduit par Baudelaire puis par Mallarmé. Ces deux artistes ne pouvaient que s'entendre, par leur goût commun pour le fantastique et l'étrange. A Edgar Poe, constitué de 6 lithographies, n'est pas une illustration des contes de Poe, mais plutôt une sorte de mise en parallèle de deux sensibilités très proches. Les titres associés à chaque lithographie sont souvent très énigmatiques et sont plus une éloge à l'écrivain, comme l'indique le titre de l'abum, que des citations liées à l'ouvrage lui-même. C'est dans l'album  Hommage à Goya  de 1885 que ces titres prendront toute leur ampleur, car lus les uns à la suite des autres, ceux-ci s'assimilent à de la poésie en prose. A propos de l'album  Songes, Mallarmé dira d'ailleurs en 1891 "Vous le savez, Redon, je jalouse vos légendes."


La FLEUR du MARECAGE,
une tête humaine et triste, 1885
Album Hommage à Goya (pl.2)

Jusqu'en 1899, Redon réalisera encore onze recueils lithographiques, tous plus mystérieux les uns que les autres, reprenant toujours son thème de l'oeil grand ouvert, s'élevant vers l'infini et ses personnages éngimatiques : Les Origines (1883, dont les titres ont été ajouté a posteriori par Redon), Hommage à Goya (1885, dont les titres se lisent comme un poème), La Nuit (1886, hommage à son ancien maître Bresdin) et Songes (1891, hommage cette fois-ci à son grand ami Armand Clavaud), et enfin une trilogie sur la Tentation de Saint Antoine (1888-1896), inspirée de l'ouvrage de Gustave Flaubert, découvert par Hennequin et présenté à Redon en ces termes : "Il [lui] dit qu'[il] trouverai[t] en ce livre des monstres nouveaux."




Yeux Clos, 1890
Huile sur toile
Ces visions intérieures et angoissées firent place progressivement, à partir de la fin des années 1890, à la couleur, et plus particulièrement au pastel, que Redon utilisait déjà depuis longtemps avec brio. L'oeuvre qui semble marquer le tournant de son oeuvre est datée de 1890 et est intitulée Les Yeux clos, à l'origine sous forme de lithographie, puis ensuite réalisée à l'huile. Cette oeuvre, d'une rare douceur dans l'oeuvre de l'artiste, représente le portrait d'un personnage androgyne aux yeux fermés, et s'apparente fortement au travail des symbolistes, dont le travail est alors triomphant. Les chimères et globes occulaires vont progressivement disparaitre... et laisser place à de nouveaux thèmes, basés sur le divin, la mythologie, les cieux, sans oublier les portraits et les thèmes floraux.



La Cellule d'or, 1892 ou 1893
Huile et peinture métallique
"J'ai épousé la Couleur, depuis il m'est difficile de m'en passer", rapporte Odilon Redon, comme s'il venait de s'éveiller après un mauvais rêve. Tout en s'éloignant de ce milieu littéraire qui l'avait porté, durant ces deux décennies de la fin du siècle, Redon s'éloigne également de ses thèmes chimériques, pour se rapprocher de la scène artistique émergente, et notamment de Paul Gauguin, rencontré lors de la dernière exposition des Impressionnistes en 1886. Les dernières salles de l'exposition font apparaître un nouveau Redon, inspiré par le symbolisme, les couleurs diaphanes, annonçant même le travail des Fauves de 1905 ! tout en gardant un certain mystère autour de ses oeuvres. En témoigne La Cellule d'Or, de 1892 ou 1893, un simple portrait de profil de couleur bleue cobalt sur un fond or, associant la tradition byzantine et le symbolisme des couleurs, le bleu cobalt signifiant le dévouement à un noble idéal spirituel. Redon dit lui-même qu'il n'appartient à aucune religion, mais son travail semble tout simplement s'inspirer de thèmes plus classiques, tout en adoptant les styles nouveaux : celui de Gauguin, des Fauves, mais également des Nabis à la fin des années 1890.

Le Char d'Apollon, vers 1910
Huile avec rehauts de pastels
L'exposition s'achève sur deux thèmes, tout d'abord celui des arts décoratifs, peuplés de fleurs, de délires végétaux, où Redon peut s'abandonner avec euphorie à la sensualité de la couleur. C'est d'ailleurs à travers une commande privée de M. de Domercy pour sa salle-à-manger que Redon s'exprimera le mieux.
Enfin, la dernière salle présente les dernières oeuvres de la vie de Redon et plus particulièrement l'une de ses oeuvres les plus connues, Le Char d'Apollon, où l'on voit quatre chevaux blancs surplombant un serpent aux contours flous, s'envolant dans les airs, la figure d'Apollon elle-même disparaissant dans les nuages...
Serait-ce là ce que ressentait Redon, après avoir traversé deux décennies d'incompréhension avec ses "Noirs" où ses prunelles regardaient vers l'infini sans pouvoir y accéder ? Enfin il pouvait s'envoler vers d'autres cieux, vers le repos et l'apaisement.

A voir et à revoir jusqu'au 20 juin 2011 et surtout, à ne pas manquer !
Pour plus d'informations rendez-vous sur le site officiel de la RMN.

CR

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