jeudi 26 mai 2011

Maria Pergay, quand le design rencontre l'acier, chez Artcurial le 24 mai 2011 / les résultats

La vente de la collection du baron et de la baronne Gourgaud créera l'événement le mardi 24 mai à l'hôtel Dassault.
 

Salon avec le corner sofa
et la table basse ammonite
© ARTCURIAL S. Briolant

124 lots seront dispersés pendant cette vacation parisienne, dont une quinzaine réalisés par la designer Maria Pergay, pour meubler et décorer la villa du sud de la Corse de ce couple collectionneur, attirés, dans les années 1970 par le design contemporain.

Au début des années 1950, Maria Pergay, alors jeune diplômée de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques, débute sa carrière de designer, ou plutôt "d'ouvrière d'idée", et commence à s'intéresser, surtout à partir des années 1960, au travail du métal, et plus particulièrement de l'acier, qu'elle maîtrise avec brio.
Esthétiques, originales, ludiques et profondément modernes, ses créations séduisirent, en 1972, le baron et la baronne Gourgaud, qui lui passèrent commande pour leur villa.


Sculpture Oursin
© ARTCURIAL S. Briolant

La créatrice s'inspire alors de cet environnement calme et intime de bord de mer et crée des pièces à la fois extraites de son répertoire mais également des pièces uniques réalisées spécifiquement pour ce lieu.
On retiendra notamment une surprenante table basse en forme d'ammonite géante en acier laqué, ou encore un étrange support intitulé Oursin, constitué de tiges d'acier rayonnantes, servant à mettre en scène les minéraux de la baronne, et s'apparentant plus à une oeuvre d'art qu'à un objet purement fonctionnel. Maria Pergay utilise également de véritable fossiles d'ammonites qu'elle insère dans une structure servant de pied de lampe.




Salle à manger avec la table Gerbe
et les fauteuils Sphère
© ARTCURIAL S. Briolant
Et on retrouve avec bonheur ses canapés bas Corner sofa ultra fonctionnels à la structure en acier inoxydable brossé et sa fameuse table Gerbe, composée de lames d'acier réunies en forme de bouquet et supportant une imposante dalle de verre fumé, associée à des fauteuils Sphère à l'assise en forme de coque en plexiglas de Boris Tabacoff.





Estimées de 10 000 € à 50 000 €, ces oeuvres seront dispersées sous le marteau de François Tajan le mardi 24 mai 2011 à 20h chez Artcurial - Hôtel Marcel Dassault, 7 rond-point des Champs-Elysées, 75008 Paris.
Pour plus d'informations sur cette vente, rendez-vous sur le site d'Artcurial.

Le soir de la vente, la quasi totalité des lots de la designer Maria Pergay ont trouvé preneur, dans leur estimation. Pas de surprise, mais les lots les plus importants ont été bien vendus, comme la fameuse table ammonite (est. 40 / 50 000 €), vendue 47 628 € avec les frais ou l'extraordinaire sculpture Oursin (est. 30 / 40 000 €) vendue pour 35 236 €. La cote de l'artiste se maintient, car ses oeuvres, ludiques et originales, peuvent séduire un public très large, du design pur, à l'art contemporain, en passant par l'art plus ancien.

CR

mardi 24 mai 2011

Anish Kapoor : MONUMENTA 2011 – "Le Léviathan" // CHICAGO – “The Cloud Gate”

Après Anselm KIEFER (Monumenta 2007), Richard SERRA (Monumenta 2008) et Christian BOLTANSKY (Monumenta 2010), c’est au sculpteur britannique né en 1954 à Bombay, Anish KAPOOR, d’occuper les 13.500 m2 et 35 mètres de hauteur sous la verrière du Grand Palais. 

Vue de l'intérieur de l’œuvre
Le vaste espace est l’occasion pour chacun de ces artistes de changer le regard du spectateur sur l’art contemporain : le visiteur n’est pas spectateur extérieur de l’œuvre, mais protagoniste de celle-ci. Avec Le Léviathan, il entre d’abord dans une salle confinée, surchauffée, obscure et éclairée d’une lumière rouge diffuse. Les parois, en sorte de « plastique moue », et les larges tubes ronds en hauteur contribuent à la sensation d’être dans un flux instable dans l’intimité d’un corps. L’œuvre s’adresse à notre mémoire lointaine, aux impressions anciennes, comme une deuxième naissance ?!

J’interroge un visiteur sur ses impressions face à cette œuvre. Elle me répond : « On fait partie de l’œuvre. En quelques secondes, on se retrouve dans un endroit coupé du monde, de notre environnement. Ça m’a coupé le souffle ! J’avais l’impression d’être dans un vaisseau spatial … c’est ce que j’attends de l’art contemporain. » 
Le Léviathan - Grand Palais
Photo Clara Dudézert



A l’intérieur, comme à l’extérieur de l’œuvre, entre le biologique et le physique, l’œuvre d’Anish Kapoor correspond à la notion de « proto » comme le souligne l’artiste. Vue de l’extérieur, sous la verrière, l’œuvre ressemble à un « protoforme ». Rien de comparable n’existe. Un sportif y verrait peut-être quatre ballons marron attachés les uns aux autres, un scientifique plutôt un atome entre H2O et CH4 …

Une expérience étonnante et inédite.
Une œuvre qui, néanmoins, d’un point de vue esthétique, n’arrive pas à la cheville de la célèbre œuvre de Kapoor Cloud Gate surnommée « The Bean » de Chicago, exposée à Millennium Parc. Comme une goutte de mercure, les skyscrapers de Chicago s’y reflètent mais aussi les arbres à fleurs blanches au printemps … c’est tellement beau et parfaitement inséré dans la ville !     

Anish Kapoor - "Cloud Gate" - Millennium Park - Chicago
Photo Clara Dudézert



NEF DU GRAND PALAIS – Du 11 mai 2011 au 23 juin 2011
Ouvert de 10h à 19h les lundis et mercredis et de 10h à minuit du jeudi au dimanche.
Fermé le mardi. Dernière entrée 45 minutes avant la fermeture.

MILLENNIUM PARC – CHICAGO – USA –
Reflets sur "The Cloud Gates"
201 E. Randolph St., entre Michigan Ave and Columbus Ave.
Parc ouvert toute l’année de 6h à 23h.

Clara Dudézert

Chicago. Sur les pas de l’architecte Franck Lloyd Wright …

Fallingwater, Mill Run
J’ai écarquillé les yeux le jour où, en première année d’Histoire de l’art, le Professeur d’architecture moderne a passé la diapositive de la maison d’Edgar Kaufmann dite « Fallingwater » (Maison sur la Cascade) construite en 1939 par Frank Lloyd Wright (1867 – 1959) en Pennsylvanie à Mill Run. Mill Run ?!! Quelle fut ma déception en apprenant la localisation de ce bâtiment étonnant… loin de toutes grandes villes américaines, j’avais peu de chance de la voir un jour… et Wright qui ajoute « Fallingwater is a great blessing – one of the great blessings to be experienced here on earth. I think nothing yet ever equaled the coordination, sympathetic expression of the great principle of repose where forest and stream and rock and all the elements of structure are combined so quietly that you listen (…) the music of the stream. »

Aujourd’hui, me voilà consolée. A Chicago et dans les proches alentours il y a quelques réalisations remarquables, hétéroclites, permettant une approche intéressante des divers styles et tâtonnements de l’architecte américain.
Si la vie vous emmène à Chicago, je vous recommande vivement de partir à la découverte de ses maisons.

Maison natale d'Hemingway 
Oak Park
Property of : Clara Dudézert
Etape numéro 1 : OAK PARK
(Métro : Green line – station Oak Park – à 30 minutes du Loop.
Remonter Oak Park Avenue, on passe devant la maison natale d’Ernest Hemingway, né en 1899, et le musée qui lui est dédié. 

Tourner à gauche sur Chicago Avenue, puis tout droit jusqu’à la maison et cabinet d’étude de F. Lloyd Wright)

F. Lloyd Wright Home and Studio
En 1889, âgé de 22 ans, Wright vient vivre avec femme et enfants à Oak Park, dans la banlieue de Chicago car il haïssait les grandes villes ; d’ailleurs il ne concevra que peu de bâtiments pour les grosses agglomérations. Sur un terrain étroit et boisé, il construit sa maison flanquée de son cabinet d’étude puisqu’il venait de se faire licencier du célèbre cabinet d’architectes Adler et Sullivan où il travailla pendant presque sept ans. L’intérêt de cette visite est de voir dans cette œuvre de jeunesse le parti pris architectural de l’artiste. On y note déjà un style propre, des constantes que l’on retrouvera par la suite dans ses « prairie houses » mais aussi des tâtonnements et évolutions.
La maison de F. L. Wright - (à gauche on distingue le studio adjacent) 
Vue de la façade sur Forest Avenue
Oak Park - Chicago - Illinois
Property of : Clara Dudézert

Le Cabinet d'architecte de F. L. Wright 
Vue de la façade sur Chicago Avenue  
Property of : Clara Dudézert


En effet, Wright souhaitait différencier sa maison de celles du quartier construites dans le style victorien avec des couleurs vives. A contrario, il souhaitait fondre sa maison dans la nature. Cela se traduit par l’utilisation de matériaux naturels tels le bois notamment le chêne, la terre, la brique, et à l’intérieur, des murs peints dans les tons sable et vert, par des lignes horizontales afin d’intégrer la structure au paysage, par une attention particulière au climat afin d’adapter l’architecture. Parmi les évolutions postérieures, la façade haute et pointue donnant sur Forest Avenue est encore loin de l’architecture plate de ses « prairie houses ».

Des conférenciers bénévoles proposent de vous faire visiter la maison et le cabinet d’architecture de Wright ; acceptez, car sans eux, vous ne pourrez pénétrer à l’intérieur !
Vue du Cabinet d'architecte depuis Chicago Avenue
Entrée du Cabinet d'architecte
Au rez-de-chaussée, les pièces communiquent toutes entre elles afin de donner une impression d’espace … comme si l’on habitait dans l’une des riches maisons victoriennes d’à côté ! Les vitres ressemblent à des vitraux avec des décors de baguettes de plomb géométriques, parfois légèrement teintées de jaune, symbole de la lumière. Wright privilégie les ouvertures sur la nature, la lumière venant de fenêtres hautes ou du plafond ; ainsi le salon, la salle à manger, les chambres et son cabinet d’étude.  Le mobilier, in situ et non dans un musée (!) est également signé de l’architecte. On y voit ses fameuses longues tables en bois naturel entourées de chaises à dossier droit avec de longues barres jusqu’au sol ou ses fauteuils à dossier courbe.

Les maisons particulières de Forest Avenue
Wright est également l’architecte d’une quinzaine de maisons particulières situées de part et d’autre de Forest Avenue. Construites principalement entre 1895 et 1910, elles ressemblent d’avantage au style des « prairies houses » même si le style n’est pas aussi abouti que dans la Robbie House. A voir notamment, William H. Copeland House Remodeling (au n° 400) Nathan G. Moore House (au n°333), Arthur Heurtley House (au n°318) en face de la Hills-DeCaro House (n° 313) datée de 1906 et reconstruite en 1977, Franck Thomas House (n° 210)…
Nathan G. Moore House



Hills-DeCaro House

Arthur Heurtley House

Franck Thomas House 

Plus de photos ici 

Unity Church
Unity Church - Vue d'ensemble depuis Lake street
(au bout de Forest Avenue, tourner à gauche sur Lake Street jusqu’à « l’Eglise de l’Unité »)
Détail des fenêtres bandeau
Vue de la salle de prière
En 1907, Wright créa une église surprenante, révélatrice de son esprit non conformiste, en forme de cube en béton. Les imposantes façades n’ont pour unique décor que des colonnes à motifs géométriques tout en haut des murs, supportant le toit débordant. La porte est bien cachée à l’intérieur de la structure afin d’éviter le bruit des deux rues passantes. L’intérieur se visite et l’on est très gentiment accueilli. On y retrouve les vitraux, les lampes japonisantes, la puissante simplicité des boiseries géométriques, une pureté des lignes et une atmosphère sereine… Un chef-d’œuvre réalisé avec le tout petit budget de la congrégation de 45.000$.
Salle des célébration :
bancs du 2ème étage, lampes japonisantes, fenêtres hautes
..

En accord avec le nom donné à l’église (« Eglise de l’Unité »), la « Congrégation Universaliste », commanditaire de l’œuvre, accepte toutes les personnes croyant en Dieu, indépendamment de leur religion.



Etape numéro 2 : CHICAGO SOUTH SIDE
(“Metra” train station – 55th-56th-57th street station -)

The Robbie House 
La Robbie House, du nom de son commanditaire Frederick Robbie, réalisée entre 1908 et 1910, est mondialement célèbre car c’est la quintessence de la « prairie house », la plus aboutie de toute l’œuvre réalisée par l’architecte. 

The Robbie House - Façade principale


Vue de côté
L'entrée de la maison est sur la gauche
Fenêtres du premier étage
 Maison basse, toits en pente douce débordants, matériaux naturels concourent à son intégration dans la nature. Les espaces communs communiquent tous entre eux : au rez-de chaussée, une salle de jeu et une salle de billard ; placé au centre, un escalier permet l’accès au 1er étage où le salon est séparé de la vaste salle à manger par une cheminée centrale. Les chambres se situent au 2ème étage. L’architecte confirme et signe sa conception nouvelle d’un intérieur non cloisonné. Il ouvre toutes les pièces sur l’extérieur par des fenêtres en bandeau, des galeries couvertes et terrasses.
















Etape numéro 3 : DOWNTOWN : « THE LOOP »
(retour dans le quartier des affaires de Chicago : A deux pas de la Willis Tower -527m avec les antennes-, la deuxième tour la plus haute du monde après celle récemment construite à Dubaï !)

The Rookery
The Rookery Vue depuis LaSalle Street
(au n°209 LaSalle Street)
Le bâtiment construit en granit et pierre rouge dans le style « Romanesque revival » date de 1888. Occupé aujourd’hui par des bureaux, on peut entrer dans le hall du bâtiment sans difficulté. Frank Lloyd Wright modifia la cour intérieure en 1907 … et c’est plutôt grandiose !
The Rookery
Escalier central
Escalier menant au second et troisième étage
Un large escalier central en marbre blanc gravé de motifs floraux rehaussés à la feuille d’or mène au premier étage. Des poutres en acier blanc soutiennent le magnifique petit escalier en fer forgé conduisant à l’étage supérieur ainsi que la toiture transparente qui apporte une grande clarté.

Le bâtiment est classé « National Historic Landmark » depuis 1988.


Voilà un petit aperçu de mon parcours sur Frank Lloyd Wright à Chicago …

Je termine cette note en remerciant mille fois Mimi, sans qui ce voyage n’aurait pas eu lieu.


Clara Dudézert

lundi 16 mai 2011

Dans les rêves d'Odilon Redon

Le Grand Palais à Paris présente, jusqu'au 20 juin 2011, une rétrospective de l'oeuvre étrange de l'artiste Odilon Redon, assez peu connu en France, mais pourtant très riche.

Araignée souriante, 1881

Cette exposition nous plonge dans un univers peuplé de monstres, de têtes coupées et d'yeux immenses regardant vers le ciel.
Odilon Redon commence réellement son apprentissage auprès d'un graveur lithographe, Rodolphe Bresdin, à Bordeaux, dans les années 1865. C'est à ses côtés qu'il forgera sa véritable identité artistique et qu'il commencera son travail sur les "Noirs", dessins au fusain, qui permettent en réalité de faire apparaître la lumière. Ayant du mal à faire accepter son style et son univers, alors que les Impressionnistes sont en plein essor, et ne supportant pas les moqueries, Redon décide d'utiliser la lithographie comme moyen de diffusion plus large, dans un autre domaine, celui de la littérature.



Eclosion, 1879,
Album Dans le Rêve (pl.1)
C'est en 1879 que Redon  publie son premier album de lithographies initulé Dans le Rêve. Le spectateur découvre alors, à travers ces planches dominées par un noir profond, un univers très particulier, issu d'un romantisme décadent, proche du symbolisme, et se posant même comme précurseur de ce que l'on appellera plus tard le surréalisme. Redon a toujours été passionné par les sciences naturelles, initié dès 1857 par son ami le botaniste Armand Clavaud aux recherches scientifiques contemporaines, aux ouvrages de Baudelaire, Darwin ou encore Flaubert, qui sera d'ailleurs le sujet de l'un de ses albums... C'est de cette rencontre également que nait son intérêt pour la poésie hindoue et la religion qui s'y rattache. Ces premières planches, formant un cycle allant de la vie (Eclosion, pl.1), à la mort (une tête de martyr), nous plongent dans un monde onirique, constitué d'images tirées de rêves, de l'inconscient de l'artiste, mais également d'une nature étrange. L'élément omniprésent, que l'on retrouvera en filigrane dans tout son oeuvre, est l'oeil, ou plutôt une immense prunelle, tantôt flottant dans les airs, tantôt sous forme de ballon s'élevant vers des cieux inconnus (L'Oeil, comme un ballon bizarre se dirige vers l'INFINI, pl. 1 de A Edgar Poe), ou encore présentée comme une apparition au milieu d'une architecture indéterminée (Vision, pl. 8 de Dans le Rêve). L'exposition nous présente, tour à tour, les albums qui ont fait le succès de Redon, auprès des milieux artistiques, mais surtout littéraires : "Autant que Baudelaire, M. Redon mérite le superbe éloge d'avoir créé un frisson nouveau ... Seul de tous nos artistes, peintres, littérateurs, musiciens, il nous paraît avoir atteint à cette originalité absolue qui, aujourd'hui dans notre monde si vieux, est aussi le mérite absolu,"  rapporte Emile Hennequin dès février 1882, grand critique d'art, qui jouera un rôle important dans la carrière d'Odilon Redon, malgré l'accueil déconcerté et déconcertant du public et de la critique.


L'oeil, comme un ballon bizarre
se dirige vers l'INIFNI, 1882
Album A Edgar Poe (pl.1)
La seconde grande rencontre de Redon sera celle d'Edgar Poe, dont les textes sont traduit par Baudelaire puis par Mallarmé. Ces deux artistes ne pouvaient que s'entendre, par leur goût commun pour le fantastique et l'étrange. A Edgar Poe, constitué de 6 lithographies, n'est pas une illustration des contes de Poe, mais plutôt une sorte de mise en parallèle de deux sensibilités très proches. Les titres associés à chaque lithographie sont souvent très énigmatiques et sont plus une éloge à l'écrivain, comme l'indique le titre de l'abum, que des citations liées à l'ouvrage lui-même. C'est dans l'album  Hommage à Goya  de 1885 que ces titres prendront toute leur ampleur, car lus les uns à la suite des autres, ceux-ci s'assimilent à de la poésie en prose. A propos de l'album  Songes, Mallarmé dira d'ailleurs en 1891 "Vous le savez, Redon, je jalouse vos légendes."


La FLEUR du MARECAGE,
une tête humaine et triste, 1885
Album Hommage à Goya (pl.2)

Jusqu'en 1899, Redon réalisera encore onze recueils lithographiques, tous plus mystérieux les uns que les autres, reprenant toujours son thème de l'oeil grand ouvert, s'élevant vers l'infini et ses personnages éngimatiques : Les Origines (1883, dont les titres ont été ajouté a posteriori par Redon), Hommage à Goya (1885, dont les titres se lisent comme un poème), La Nuit (1886, hommage à son ancien maître Bresdin) et Songes (1891, hommage cette fois-ci à son grand ami Armand Clavaud), et enfin une trilogie sur la Tentation de Saint Antoine (1888-1896), inspirée de l'ouvrage de Gustave Flaubert, découvert par Hennequin et présenté à Redon en ces termes : "Il [lui] dit qu'[il] trouverai[t] en ce livre des monstres nouveaux."




Yeux Clos, 1890
Huile sur toile
Ces visions intérieures et angoissées firent place progressivement, à partir de la fin des années 1890, à la couleur, et plus particulièrement au pastel, que Redon utilisait déjà depuis longtemps avec brio. L'oeuvre qui semble marquer le tournant de son oeuvre est datée de 1890 et est intitulée Les Yeux clos, à l'origine sous forme de lithographie, puis ensuite réalisée à l'huile. Cette oeuvre, d'une rare douceur dans l'oeuvre de l'artiste, représente le portrait d'un personnage androgyne aux yeux fermés, et s'apparente fortement au travail des symbolistes, dont le travail est alors triomphant. Les chimères et globes occulaires vont progressivement disparaitre... et laisser place à de nouveaux thèmes, basés sur le divin, la mythologie, les cieux, sans oublier les portraits et les thèmes floraux.



La Cellule d'or, 1892 ou 1893
Huile et peinture métallique
"J'ai épousé la Couleur, depuis il m'est difficile de m'en passer", rapporte Odilon Redon, comme s'il venait de s'éveiller après un mauvais rêve. Tout en s'éloignant de ce milieu littéraire qui l'avait porté, durant ces deux décennies de la fin du siècle, Redon s'éloigne également de ses thèmes chimériques, pour se rapprocher de la scène artistique émergente, et notamment de Paul Gauguin, rencontré lors de la dernière exposition des Impressionnistes en 1886. Les dernières salles de l'exposition font apparaître un nouveau Redon, inspiré par le symbolisme, les couleurs diaphanes, annonçant même le travail des Fauves de 1905 ! tout en gardant un certain mystère autour de ses oeuvres. En témoigne La Cellule d'Or, de 1892 ou 1893, un simple portrait de profil de couleur bleue cobalt sur un fond or, associant la tradition byzantine et le symbolisme des couleurs, le bleu cobalt signifiant le dévouement à un noble idéal spirituel. Redon dit lui-même qu'il n'appartient à aucune religion, mais son travail semble tout simplement s'inspirer de thèmes plus classiques, tout en adoptant les styles nouveaux : celui de Gauguin, des Fauves, mais également des Nabis à la fin des années 1890.

Le Char d'Apollon, vers 1910
Huile avec rehauts de pastels
L'exposition s'achève sur deux thèmes, tout d'abord celui des arts décoratifs, peuplés de fleurs, de délires végétaux, où Redon peut s'abandonner avec euphorie à la sensualité de la couleur. C'est d'ailleurs à travers une commande privée de M. de Domercy pour sa salle-à-manger que Redon s'exprimera le mieux.
Enfin, la dernière salle présente les dernières oeuvres de la vie de Redon et plus particulièrement l'une de ses oeuvres les plus connues, Le Char d'Apollon, où l'on voit quatre chevaux blancs surplombant un serpent aux contours flous, s'envolant dans les airs, la figure d'Apollon elle-même disparaissant dans les nuages...
Serait-ce là ce que ressentait Redon, après avoir traversé deux décennies d'incompréhension avec ses "Noirs" où ses prunelles regardaient vers l'infini sans pouvoir y accéder ? Enfin il pouvait s'envoler vers d'autres cieux, vers le repos et l'apaisement.

A voir et à revoir jusqu'au 20 juin 2011 et surtout, à ne pas manquer !
Pour plus d'informations rendez-vous sur le site officiel de la RMN.

CR

lundi 2 mai 2011

La Maison de Thé de Charlotte Perriand...au Bon Marché

 Du 9 avril au 11 juin 2011, le Bon Marché présente, sous ses verrières, la Maison de Thé de la designer Charlotte Perriand.

Charlotte Perriand, 1974
Quelques rappels historiques : en 1941 et 1953, Charlotte Perriand est appelée par le Japon en tant que "conseillère de l'art industriel du bureau du Commerce". Pendant ses deux séjours, elle enseigne et présente aux Japonnais l'art occidental, tout en s'inspirant de leurs propres traditions et de leur art de vivre.
De cette expérience naitront des pièces de mobilier très sobres, dans des matérieux locaux (bambou, bois blanc...).



Maison de Thé, Unesco, 1993
Mais c'est en 1993 que la designer est invitée, aux côtés de Tadao Ando, Yaé Lung Choï et Ettore Sottsass par le célèbre réalisateur japonais Hiroshi Teshigahara, pour présenter sa vision de la Maison de Thé sur la plazza de l'Unesco à Paris.
Son interprétation se traduira par un savant mélange entre tradition et modernité, présentant un espace dédié à la méditation, au silence et au recueillement. De simples tatamis sont disposés au sol, surélevé au-dessus de gros galets gris, entourés de portes coulissantes, le tout surplombé d'une immense corolle vert clair circulaire tendue par des bambous.
« J'ai tenté d'exprimer un « espace thé » éphémère, pour méditer et rêver à un nouvel Age d'Or », écrit Charlotte Perriand, dans sa biographie, Une vie de création.

Mais la reconstitution de cette "Maison de Thé" n'était qu'un prétexte pour "fêter l'arrivée de Cassina au Bon Marché Rive Gauche". En effet, la maison d'édition de mobilier italienne réédite depuis quelques dizaines d'années les oeuvres du groupe Le Corbusier, Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand.

Exposition Charlotte Perriand - La Maison de Thé
Bon Marché, 2011
L'espace dédié à l'exposition de la "Maison de Thé" de Charlotte Perriand est ainsi composé : le visiteur, s'attendant à entrer dans un univers japonisant, se retrouve face aux dernières éditions de la maison Cassina, non sans intérêt, bien sûr, mais surtout à vendre... La fameuse chaise longue de 1929, qui a permis à Charlotte Perriand de susciter l'intérêt de Le Corbusier, la table extensible de 1927, étrangement rebaptisée Ospite, proposée autour de 7 000 € (l'édition de luxe de 1929 de cette table a été vendue le 29 mars 2011 lors de la dispersion de la collection du château de Gourdon, pour la somme de 330 000 € hors frais...).


D'autres rééditions des années 1920/1930 sont encore présentées, devant un immense mur de bambous. Après avoir fait le tour, on peut effectivement glisser la tête dans l'ouverture laissée par ce mur végétal, pour apercevoir la reconstruction "à partir des plans originaux" de la fameuse Maison de Thé...
On ne peut malheureusement pas y entrer, mais on peut en revanche commander un repas japonais autour de 45 € autour de la petite installation.
Les films et les photographies accrochées sur les murs montrent, pêle-mêle, des moments de la vie de Charlotte Perriand, les plans et la conception de la Maison de Thé, sans réelle cohésion.
Exposition plutôt décevante, qui sert un propos commercial.
Mais n'est-ce pas le but de tout grand magasin?

CR

La Maison de thé de Charlotte Perriand  du 9 avril au 11 juin 2011, sous la verrière du 2ème étage du Bon Marché Rive Gauche