lundi 28 novembre 2011

Singes et Dragons. La Chine et le Japon à Chantilly au XVIIIe siècle

Château de Chantilly.
Vue depuis l'entrée principale
 photo :Clara Dudézert
"La Chine et le Japon à Chantilly au XVIIIe siècle".

Le Château de Chantilly ne consacre qu’une seule salle pour traiter de ce vaste sujet. Cette exposition ajoute à votre visite du Musée Condé, après la Galerie des peintures, une parenthèse des plus intéressantes sur le goût français pour l’exotisme au début du XVIIIe siècle, et plus particulièrement à Chantilly.



Le goût pour l’Extrême-Orient naît à la fin du XVe siècle. Il se développe sous le règne de Louis XIV avec la création de la Compagnie Française des Indes Orientales, créée en 1664 par Colbert, permettant l’importation de Chine et du Japon de porcelaines, tissus, d’objets et meubles en laque, mais aussi avec les visites, en 1682 et 1686, des Ambassadeurs de Siam apportant à la Cour de France des centaines d’objets d’art en provenance d’Asie.


Louis-Henri, Duc de Bourbon,
(1692-1740)
@ photo wikipedia
Louis-Henri, duc de Bourbon, prince de Condé (Versailles, 1692 – Chantilly, 1740), arrière-petit-fils du grand Condé, cousin du roi Louis XV, est alors un des hommes les plus puissants du Royaume. Tombé en disgrâce à la Cour et contraint de s’exiler à Chantilly, ce riche collectionneur installe un laboratoire de chimie afin de procéder lui-même à des essais de créations de porcelaine. C’est au sein même du château, dans l’appartement nommé « Hôtel Péquin » qu’il y travaille. 

En 1730, le duc de Bourbon apporte les capitaux pour créer une manufacture à l’ouest du château, quartier que l’on nommera alors « le petit Chantilly », et engage Cicaire Cirou pour son savoir-faire acquis lors de ses dix années d’expérience passées à la Manufacture de Saint-Cloud protégée par Philippe, Duc d’Orléans et spécialisée dans la porcelaine « à l’imitation de la Chine ». En 1735, la Manufacture de Chantilly se voit octroyer par le roi, le monopole et privilège de fabriquer exclusivement de la porcelaine « à l’imitation du Japon ».
Seau à bouteille,
"Chinois jouant au cerf-volant
"
OA10299
(C) RMN (Musée du Louvre) - @Jean-Gilles Berizz
Le duc de Bourbon et Cicaire Cirou sont considérés comme les co-fondateurs de la Manufacture qui produit, jusqu’en 1753, de la porcelaine de grande qualité, à pâte « tendre » (sans kaolin), aux couleurs et motifs Kakiemon (une palette de couleurs restreintes -rouge, jaune, bleu, vert- de qualité « contournée », c'est-à-dire avec un contour noir autour des motifs).   

Ecritoire en forme de singe
(C) RMN (Sèvres, Cité de la céramique) -
@Martine Beck-Coppola


 





 Vous verrez donc le style Kakiemon envahir soucoupes, pots à tabac, jattes, tasses et même des couverts… ainsi que des petits animaux à décor polychrome au naturel (biches, lynx, singes…) et pourrez imaginer notre Cicaire Cirou, dans « le petit Chantilly » recopiant les motifs d’après les porcelaines japonaises conservées dans les collections du duc. 
 

En entrant dans la salle, à droite, est exposé un album exceptionnel, le « Livre des Desseins chinois » (1735) réalisé par le peintre Jean-Antoine Fraisse, au service de la Manufacture de toiles peintes, elle aussi créée par le duc de Bourbon. Gravés en taille-douce et coloriés, les dessins illustrent des modèles tirés des porcelaines asiatiques et des indiennes importées d’Extrême-Orient. Ce livre était un autre moyen d’inspiration pour les artisans au service du prince, notamment pour les porcelaines.
D’ailleurs, la démonstration est vite faite si l’on regarde les deux sceaux à bouteille, à gauche de l’album. La « Scène de marché » représentée dans l'album, est à peu de détails près la même que celle ornant le sceau, conservé en mains privées ; de même pour la scène du « Chinois jouant au cerf-volant ».

On peut se demander pourquoi la Manufacture n’ajoutait-elle pas un peu d’or sur ses porcelaines (histoire d’être plus chic) ? La réponse est simple : seule la Manufacture de Vincennes – Sèvres avait ce privilège !!!

La deuxième production de Chantilly, celle débutant en 1753, n’est pas représentée dans cette exposition, puisque la découverte d’une nouvelle couverte entraine une nouvelle palette de couleurs dit « de petit feu », d’une plus grande subtilité chromatique, qui s’adaptera mieux au style rocaille.


Christophe Huet (1700-1759)
Paysage avec singe attaquant
un perroquet ara

1735
H/T, 268 x 108 cm
Chantilly, Musée Condé, inv. 401-6
(C) RMN / Hervé Lewandowski

Nous l’avons vu plus haut, le duc de Bourbon créa également une Manufacture de toiles peintes malgré l’interdiction qui avait été faite entre 1686 à 1759. Des broderies sur satin vous surprendront par la qualité du travail de cette Manufacture.


Est également exposé l’un des dix grands panneaux exécutés par le peintre animalier Christophe Huet en 1735, composé d’animaux exotiques, singes, perroquets, oiseaux de paradis, probablement inspirés de la Ménagerie de Chantilly ou Versailles, sur un fond de paysage asiatique avec pagode.    

La collection du duc de Bourbon comportait de nombreuses pièces en laque du Japon… et comme pour la porcelaine, le XVIIIe siècle chercha aussi à imiter la technique ! Le duc de Bourbon créa donc une … troisième manufacture, de laque cette fois ! De ces créations, il ne reste que peu de traces, ces dernières ayant quasiment toutes disparues durant la période révolutionnaire. 
Exposé dans les Grands appartements du château en 1740, un joli coffre en laque du Japon (1675) avec un décor de poules, coq et poussins picorant, est présenté à la sortie de la salle.

A voir jusqu’au 1er janvier 2012 !

Clara Dudézert

« Trois siècles de peinture espagnole » à la Galerie Terrades

A quelques pas du Musée de l’Orangerie, si vous souhaitez prolonger l’expérience de la peinture espagnole (cf. article du 2 novembre), mais cette fois avec des peintures anciennes, la Galerie Terrades expose une petite vingtaine de tableaux de la Renaissance au milieu du XIXe siècle.

Tout le monde remarquera la lumineuse toile représentant Apollon et les Muses (v.1800) de Vincente López Portaña choisie pour la couverture du catalogue. Plus silencieux, d’une douce simplicité, j’ai beaucoup aimé le Bouquet de fleurs au coquillage (1644) de Juan de Arellano. Enfin, Eugenio Lucas Velazquez réinterprète le thème ancien de La Loge ou Majas a la corrida (v.1850) avec brio.  

A voir jusqu’au 17 décembre !
8 rue d’Alger, Paris 1er arr.

Clara Dudézert

vendredi 4 novembre 2011

PARIS - TABLEAU ou pari réussi !

Il s'agissait de faire de Paris la capitale du tableau ancien, et implicitement de faire concurrence à nos amis d'outre-Manche !
Pari réussi pour nos dix galeristes parisiens qui, depuis longtemps, préparaient ce beau projet !

Dans le cadre du Salon international de la peinture ancienne "Paris-Tableau", une vingtaine de marchands de grande renommée exposent leurs plus belles œuvres au Palais de la Bourse (Paris, 2e) du 4 au 8 novembre. Le choix du lieu n'est pas anodin : de taille humaine, le Palais Brongniart permet une manifestation chaleureuse et conviviale !

Parmi tant d'autres œuvres, j'aime beaucoup le Légionnaire endormi d'Ubaldo Gandolfi à la galerie Noortman, la fraîcheur de La sortie des orangers d'Hubert Robert chez Talabardon & Gautier, L'Allégorie de l'art d'Antoine Vestier chez Aaron, et l'émouvante Biche aux aguets d'Oudry chez Coatalem.


Last but not least, deux expositions de dessins à quelques pas de là :

- Saint Honoré Art Consulting, 346 rue saint-Honoré, Paris 1er, "Dessins anciens et du XIXe siècle". Exposition étonnante dont la caractéristique est de proposer à la vente des dessins de taille inférieure à celle d'une carte postale... une trentaine de petits chefs-d’œuvres... "A étudier de près !"

- Galerie Didier Aaron, 118 Faubourg Saint-Honoré, Paris 1er. "Sanguines". jusqu'au 19 novembre. Que de merveilles ... Natoire, Boucher, Greuze, Chasselat, Bouchardon, Robert ... et deux beaux dessins de mon cher Louis-Rolland Trinquesse !!!


Clara Dudézert

mercredi 2 novembre 2011

"L’Espagne entre deux siècles. De Zuloaga à Picasso (1890-1920)"

Le Musée de l’Orangerie propose, jusqu’au 9 janvier 2012, une exposition de taille moyenne et didactique, pour qui souhaite découvrir la peinture espagnole au tournant du XIXe siècle. Exposition intéressante car nous sommes généralement peu connaisseurs de ces artistes, aux noms à rallonges, tels Ignazio Zuloaga y Zabaleta, Joaquin Sorolla y Bastida, Joaquim Mir, Juan de Echevarria… pourtant maîtres incontournables !

Joaquin Sorolla y Bastida (1863-1923)
Retour de pêche, 1894
Musée d'Orsay


Le point de départ de l’exposition est un rappel historique sur la situation de crise que connait la péninsule ibérique tout au long du XIXe siècle. En effet, si les pays de l’actuelle Europe connaissent leur plein essor, les espagnols sont figés dans une crise profonde. En 1898, le pays perd la guerre contre les Etats-Unis et par conséquent ses dernières colonies, Puerto Rico, les Philippines et notamment Cuba, source d’importants revenus.


Le parcours dans les premières salles se divise de façon manichéenne entre deux grandes tendances esthétiques : « l’Espagne blanche » et « l’Espagne noire », telle la société en cette fin de siècle.
Joaquin Sorolla y Bastida (1863-1923)
L'Instantanné, Biarritz, 1906
Madrid, Musée Sorolla
D’un côté, les « peintres de la lumière claire » ou « peintres du bonheur » représentent les doux moments de la bourgeoisie en plein air (voir J. Sorolla,  L’Instantané. Biarritz, 1906, Madrid, Museo Sorolla), des paysages méditerranéens aux couleurs chaudes (voir J. Mir, Reflets, Marjorque), des jardins magnifiés aux couleurs évanescentes (voir J. Mir, L’Hermitage de Saint Blai) …



Ignacio Zuloaga y Zabaleta (1870-1945)
La Naine Dona Mercedes, 1887
Paris, Musée d'Orsay

De l’autre, les « peintres à la palette sombre » ou « peintres tragico-réalistes ». La composition des toiles et certains sujets sont inspirés des tableaux de Manet, Degas, Toulouse-Lautrec, que certains peintres espagnols ont fréquentés lors de leur séjour à Paris. Ainsi, dans les tons de gris, sont portraiturés des alcooliques, une famille de marginaux, une serveuse dans un bar… Egalement attachés à la peinture traditionnelle du Siècle d’Or espagnol, ils reprennent certains thèmes du Greco, de Velásquez (voir I. Zuloaga, La Naine Doña Mercedes, 1887, Paris, Musée d’Orsay), ou de Goya …

Les salles suivantes présentent une série de toiles, à mon avis plus décevantes, peut-être parce que je les trouve pâlement inspirées de celles de nos peintres français. Ainsi, le Paysage de Fornalitx par Joaquim Sunyer, daté 1916, est dans le goût de Cézanne, de par le thème, la gamme de couleurs, du vert au marron et la facture « pré-cubiste ». De même, La Métisse nue par Juan de Echevarria, conservée à Madrid, au Musée Nationale de la Reine Sophie, est dans le goût des toiles exécutées par Gauguin à Tahiti.

Suivent quelques toiles plus « avant-gardistes », d’artistes mondialement connus … Miro, Dali, et Picasso dont la terrible et expressive Buveuse d’absinthe, clôture l’exposition.


Clara Dudézert

Musée de l’Orangerie, Jardin des Tuileries, 75001 Paris
Ouvert tous les jours de 9h à 18h. Fermeture le mardi.