Les peintures, dessins et gravures de Jean-Louis Forain (Reims 1852 – Paris 1931) nous racontent l’Homme et les mœurs de la société française au tournant du XIXème et XXème siècle. L’exposition reprend les grands thèmes traités par l’artiste tout au long de sa carrière.
Fils d’un peintre en bâtiment et décorateur d’enseignes, le jeune Forain commence son apprentissage, au milieu des années 1860, en étudiant les grands maîtres exposés au Louvre et à la Bibliothèque impériale. Remarqué par le célèbre sculpteur Jean-Baptiste Carpeaux, il entre dans son atelier mais n’y reste qu’un an. En effet, suite à une malheureuse affaire de statue endommagée, il est rapidement exclu de l’atelier. Son père, furieux de l’incident, le chasse également. Sans le sou, il commence alors une vie de bohême travaillant à n’importe quel prix pour des réclames ou portraits après décès. Il se lie d’amitié avec Rimbaud et Verlaine qui le surnomment « Gavroche » et fréquente les poètes parnassiens.
L'Acrobate, v.1880, Art Institute, Chicago |
En 1877, une heureuse rencontre avec Edgar Degas lui ouvre probablement les portes pour exposer au « Salon des artistes indépendants », désormais connu comme « Salon des Impressionnistes ». Dans le quartier des Batignolles, au Café Guerbois ou à La Nouvelle-Athènes il fréquente Manet, Renoir, Pissarro, Sisley, Cézanne et des écrivains défenseurs du mouvement Impressionniste, tels Emile Zola ou Philippe Burty. Degas, plus âgé que Forain d’une vingtaine d’années devient son ami et son maître.
Dans les coulisses, v.1900, pastel et gouache, Petit Palais, Paris |
La peinture de Forain rejoint à plus d’un titre l’art de Degas même si le style de Forain reste plus satirique. En effet, Forain reprend non seulement les thèmes de son aîné : les ballerines et les tutus des danseuses de l’Opéra, se préparant en coulisses ou dansant sur scène, les maisons closes, les réceptions bourgeoises, mais aussi ses couleurs, ses effets de matière et de lumière blanchâtre dus à la lampe au gaz. Il est tributaire également des cadrages abruptes, en contre-plongée, décentrés, coupant quelques figures en bordure. Ainsi en témoigne la Danseuse dans sa loge, vers 1890, conservée au Sterling et Francine Clark Institute à Williamstown ou Le Buffet de 1884 conservé en mains privées.
Le buffet, 1884, coll. part. |
Forain se distingue néanmoins par sa verve satirique, son goût pour l’anecdote social et politique sous forme de critique. Le peintre est aussi dessinateur. Son style elliptique, ses traits aiguisés en angles perpendiculaires sont très reconnaissables. Une part importante de son œuvre s’accomplit dans l’illustration de livres ou de journaux. A quelqu’un qui lui demande : « Où sera votre prochaine exposition ? », il rétorque « dans les kiosques »*. Il collabore avec Le Courrier Français dès 1887, Le Figaro de 1891 à 1925. Les nombreux scandales (Panama, loi de séparation Eglise et Etat, Affaire Dreyfus) et la guerre de 14-18 apportent de l’encre à la plume du dessinateur ! Inspiré par Daumier, il dénonce aussi les mœurs, notamment la magistrature corrompue (Scène de Tribunal, 1907, Musée d’Orsay), la bourgeoisie vénale (« Les Affaires », publié en 1896 dans le Journal amusant) et les hommes libidineux allant chercher une proie en maison close (voir le fantastique dessin à l’aquarelle et gouache Le Client, 1878, conservé à la Dixon Gallery de Memphis.
Il illustre entre autres les poèmes de Baudelaire et le roman de Huysmans, Marthe, Histoire d’une Fille, dont le frontispice représentant l’héroïne s’affichant nue avec des bas rayés, apanage des filles de joie, est refusé par l’éditeur.
Le Client, 1878, Dixon Gallery, Memphis |
Une salle de l’exposition est consacrée à la quête religieuse vers laquelle Forain se tourne en 1900. J’y ai beaucoup apprécié les trois gravures sur L’Enfant prodigue où son trait incisif et spontané et les zones d’ombres font penser à Rembrandt.
▼ Pour ma part, bémol de l’artiste lorsqu’il s’engage de manière antisémite lors de l’affaire Dreyfus.
Une exposition intéressante, longue, bien documentée, à voir donc ! … même si Jean-Louis Forain ne reste qu’un compagnon de route des grands maîtres impressionnistes.
Clara Dudézert
*Jérôme Coignard, J-L. Forain « La Comédie parisienne », Connaissance des arts, HS, n°483, p.8.
Exposition Jean-Louis Forain « La Comédie Humaine », au Petit Palais, jusqu’au 5 juin.
Entrée 5 à 10 €