lundi 27 juin 2011

Vente Gourdon, Part II

Couverture du catalogue
de la vente des Collections
du Château de Gourdon
Au mois de mars dernier, avait été dispersée par Christie's à Paris la première partie de cette immense collection dédiée aux arts décoratifs de la première moitié du 20ème siècle, réunie par le jeune collectionneur Laurent Négro. Malgré un résultat global mitigé (l'estimation basse avait à peine été dépassée, avec un total d'environ 41 millions d'euros frais compris, voir l'article du 6 avril 2011), quelques pièces ont établi des records, notamment les oeuvres du décorateur ensemblier Jacques-Emile Ruhlmann, de nouveau présent dans cette seconde vacation, avec des pièces plus humbles, telles une paire d'appliques en bronze et albâtre (lot 271, est. 20/30 000 €) ou un miroir pliant de voyage en ébène de macassar et laiton nickelé (lot 269, est. 10/15 000 €).





R. Herbst, Suspension, v. 1931
Acier chromé
Lot 61
Mais c'est de nouveau le modernisme, avec près de 500 lots, qui est à l'honneur dans cette seconde partie, représenté par des artistes tels que Robert Mallet-Stevens (suspension en laiton nickelé, lot 39, est. 30/50 000 €), Pierre Chareau (coiffeuse MS423 et son tabouret SN1, lot 17, est. 40/60 000 €) ou René Herbst (suspension en acier chromé, lot 61, est. 30/40 000 €). Sont également présentées des pièces d'artistes anonymes, dont les formes (géométriques) et les matériaux (métal et verre) sont parfaitement représentatifs de l'époque (centre de table rectangulaire éclairant en verre et laiton chromé, lot 191, est. 600/800 €, buffet bibliothèque en console en laiton chromé et chêne brossé, lot 217, est. 1 000/1 500 €, ou encore une pendule rectangulaire en miroir et laiton, lot 46, est. 4/6 000 €).



J. & J. Martel, Coq, v. 1930
Lakarmé mordoré
Lot 23
Sans oublier les sculptures typiquement Art déco des frères Martel en lakarmé mordoré (Coq, lot 23, est. 7/9 000 €) ou les oeuvres cubistes du sculpteur Joseph Csaky comme Femme, lot 327, est. 12/15 000 €. Parmi les artistes modernistes, citons également la Maison Desny, particulièrement représentée dans cette vente, avec ses luminaires et objets de la vie courante en laiton nickelé et verre (lampe de section carrée, lot 183, est. 6/8 000 €, miroir de table rectangulaire, lot 142, est. 1 000/1 500 € pour les plus classiques). Enfin, des objets de la vie quotidienne ponctuent cette collection, comme un des premiers aspirateurs (lot 234, est. 1 500/2 000 €), des mannequins (Siegel, mannequin buste de vitrine, lot 479, est. 600/800 €) et des emballages publicitaires (Jacob Jongert pour Van Nelle, boite rectangulaire couverte à café et thé, lot 490, est. 1 000/1 500 €), représentatifs de cette époque, où fonctionnalité et esthétique moderne cohabitaient.


Ces oeuvres très marquées par leur temps charmeront-elles de nouveau les amateurs de verre et de tubes en métal chromé ? Rendez-vous pour le savoir les 29 et 30 juin à 14h30 chez Christie's.
Pour plus de détails : http://www.christies.com/

Charlotte Romer

vendredi 17 juin 2011

Trois peintres d’exception au nouveau MUSEE FRAGONARD de GRASSE : J-H. Fragonard, M. Gérard, J-B. Mallet

Le Musée Fragonard vient d’ouvrir ses portes dans l’Hôtel de Villeneuve acquis et restauré pour l’occasion par Jean-François et Hélène Costa afin d’y exposer leur collection de peintures composée uniquement de trois peintres grassois exceptionnels :
Jean-Honoré FRAGONARD, Marguerite GÉRARD et Jean-Baptiste MALLET.

                  Jeune fille délivrant un oiseau de sa cage

De la passion au mécénat
Au début, il y a la passion d’un homme, Jean-François Costa pour la peinture de l’enfant le plus célèbre de Grasse : Jean-Honoré Fragonard. Notre grand amateur de l’art français du XVIIIème siècle la justifie ainsi dans sa préface du catalogue du musée : « J’ai passé toute ma vie en sa compagnie … ». Et en effet, né également à Grasse, il y dirigea la célèbre parfumerie crée par son grand-père et nommée « Fragonard » en souvenir du père de Jean-Honoré Fragonard, maître gantier parfumeur à la Cour de France. S’il entrait à la Cathédrale sur les hauteurs de la ville, il pouvait admirer Le Lavement des Pieds, une des rares peintures religieuses de l’artiste, et chez son père, entre autres œuvres, Le Sacrifice de la Rose ; c’est donc tout naturellement que J-F Costa commença sa collection dans les années 1950 et son épouse, Hélène, l’encouragea dans cette voie.
Afin de partager avec un large public la joie que leur a procuré leur collection, les époux Costa ont acquis un ancien hôtel particulier, édifié au XVIIème siècle par la famille Villeneuve dans le centre historique de la ville. La rénovation de la demeure a permis la redécouverte de certains décors et volumes ainsi que l’installation du musée. Voici donc un généreux mécénat…
Au premier étage, trois salles, chacune dédiée à un des artistes. Trois artistes grassois réunis… mais quel autre lien existe-t-il, mis à part leur ville native ?

Les Chefs-d’œuvre du Maître : Jean-Honoré FRAGONARD (Grasse 1732 – Paris 1806).
Environ vingt œuvres du Maître sont exposées, chacune différant de l’autre, soit par la variété des techniques représentées (huiles, aquarelles, sanguines, pierre noire, lavis …) soit par la diversité des sujets (portraits, paysages, scènes de genre, scène mythologique et religieuse). Loin de sa réputation de « simple interprète de scènes libertines », cela offre une vision plus moderne de la peinture de l’artiste. Toutes les œuvres présentées correspondent à sa période de maturité, chacune évoquant une étape distincte de sa création.
Reproduite en couverture du catalogue, La Jeune fille délivrant un oiseau de sa cage, huile sur toile ovale, est un chef-d’œuvre. Dans une lumière claire avec des couleurs fraiches et rosées, un coup de pinceau vif et abouti, Fragonard figure une jeune fille, entourée de roses, retenant une colombe par un ruban afin qu’elle ne s’échappe. Cette scène de genre est en vérité un portrait de l’une des sœurs Colombe, Marie-Catherine, célèbre actrice de la Comédie Italienne. On la retrouve portraituré quelques années plus tard avec un visage plus rond dans La Jeune fille au ruban vert dans une lumière ô combien théâtrale, œuvre en prêt temporaire au musée. Tableau également allégorique, la colombe, allusion au nom de la jeune fille peut-être interprété de façon plus libertine ; allégorie de la chasteté, le bel oiseau blanc aurait envie de prendre son envol, mais doit rester attaché pour être à nouveau enfermé en cage.
Entièrement exécutée dans les tons blancs, jaunes et ocres, La Visite à la nourrice, peinture préparatoire au tableau de la National Gallery of Art de Washington, est touchante par le sentiment de tendresse et d’amour qui transparaît dans les mouvements et regards de cette famille réunie autour du berceau. Très probablement datable de la seconde moitié des années 1760, cette œuvre souligne la facilité avec laquelle Fragonard, le grand peintre d’histoire acclamé pour son morceau de réception acquis par le Roi, Corésus et Callirhoé (Musée du Louvre) exécute avec autant de génie une scène de genre.
L'Amour en sentinelle


Merveilleuses sont les deux toutes petites gouaches aux couleurs délicieusement sucrées représentant L’Amour folie et L’Amour en sentinelle. Ces œuvres préparatoires aux deux des quatre dessus de portes figurant des putti devaient compléter le décor des « quatre étapes de l’Amour » du Pavillon de la Musique à Louveciennes commandés par la Comtesse du Barry. La maîtresse de Louis XV refusera finalement ces décors préférant ceux de Vien, plus en vogue. En observant cette paire, on se régale à la vue des deux putti, espiègles, taquins, aux regards curieux et enjoués semant la folie ou se préparant à jaillir par surprise d’un buisson de roses pour décocher une flèche.
Le Sacrifice de la rose

Quelques mots pour finir sur le sensuel Sacrifice de la Rose, œuvre tardive où l’artiste vient à un sujet plus néoclassique. Néanmoins l’esthétique et l’atmosphère onirique pourraient être préromantiques et annoncer la production des Anglais Blake et Füssli.

De la génération suivante, deux autres artistes complètent la collection.





Marguerite GÉRARD (Grasse 1761 – Paris 1837) : Belle-sœur du Maître, élève de prédilection et collaboratrice.
Sœur cadette de l’épouse de Jean-Honoré Fragonard, Marguerite Gérard s’installe avec le couple à Paris en 1775, après le décès de sa mère, où le Maître lui donne ses premiers cours de dessin. Elève favorite, sa collaboration aux œuvres du Maître devient effective vers 1784. De cette période, on mentionnera notamment Le Chat angora, d’une extraordinaire beauté, conservé en mains privées.
La Nourrice
Sur les cimaises, on retrouve les fameux « petits portraits » pour lesquels l’artiste s’est fait un nom, caractérisés par un même format, 21 cm en hauteur par 16 cm de large, des portraits « privés », plus intimes, dont la position sociale n’est plus le propos, mais où l’individu se distingue par ses mérites. Exécutés avec des traits de pinceaux rapides,  les personnages regardent directement le spectateur dans les yeux, généralement dans une position assez décontractée ; ainsi le Portrait présumé de Mirabeau et le Portrait de Jean-Joseph Mougins de Roquefort.
Sublimissimes sont ses scènes de genre autour de la femme ou de la famille dans le goût de la peinture hollandaise du Siècle d’Or alors très en vogue chez les collectionneurs. Les thèmes libertins jugés démodés laissent place à des sujets « sages ». La peinture est précise, soignée, les détails aboutis. On passe de longues minutes à admirer La Nourrice, L’Instant de méditation, La Bonne nouvelle et Une Mère avec ses deux enfants

Jean-Baptiste MALLET (Grasse 1759 – Paris 1835) : une relation imaginaire avec le Maître.  
         Dans la troisième et dernière salle, quelques huiles, mais surtout des dessins à la plume ou des gouaches et aquarelles de Jean-Baptiste Mallet sont exposés. Alors que le lien unissant Marguerite Gérard à J-H Fragonard est évident, aucun lien n’établit aujourd’hui encore de rapport entre Mallet et le Maître. Si certains ont rapproché l’œuvre de Mallet à celle de Fragonard pour ses recherches de scènes de genre dans le style des maîtres hollandais du XVIIème siècle, Mallet diffère en plusieurs points. Dans son introduction au catalogue du musée, Andrea Zanella cite Landon, un artiste et critique d’art parisien résumant très justement les différences : « les compositions de Fragonard ont plus de feu, celles de M. Mallet plus de naturel ; le dessin de celui-ci est plus élégant, celui de Fragonard plus nourri ; le pinceau de ce dernier est plus moelleux, ses effets sont plus larges, plus piquants »*. On observe à travers ses différentes œuvres l’intérêt qu’il porte au mobilier, aux vêtements de style néoclassique, hollandais ou troubadour, au décor notamment les statues souvent suggestives en arrière-plan, et à son souci du détail. On notera toutefois que pour un peintre provençal ses dessins sont un peu froids. Parmi les œuvres qui m’ont le plus touchée, je mentionnerai L’Entremetteuse, Vénus et Adonis entourés d’Amours, Jeune Couple dans un intérieur, Les Premiers pas

En espérant que vous apprécierez autant que moi la visite de cet extraordinaire musée !

Clara Dudézert

* Musée Fragonard, Collection H. et J-F Costa, Nice, 2010, p. 16.

Musée Fragonard, Hôtel de Villeneuve, 14 rue Jean Ossola, 06130 GRASSE.
Entrée libre !!! (Quelle chance ! Espérons que cela continue ainsi …)

mardi 14 juin 2011

Charlotte Perriand, photographie et design au Petit Palais...

Charlotte Perriand en montage
Vers 1930
Archives Charlotte Perriand
Photographies et pièces de design sont effectivement présentes dans cette exposition sur l'artiste moderniste Charlotte Perriand, mais ce thème, bien qu'alléchant, s'avère en réalité assez pauvre et reste un prétexte pour sortir des pièces vues et revues.
Disséminée dans plusieurs salles du musée, l'exposition s'insère de façon assez étrange et anachronique aux collections permanentes du Petit Palais.
Le parcours, ponctué de quelques citations du Charlotte Perriand, entraine le visiteur à travers les salles 1900, où l'on finit par comprendre que l'exposition a déjà commencé, au vu des formes libres accrochées au mur (plateaux des tables conçus par la designer) et aux photographies intrigantes de la vie campagnarde.
Une fois entrés dans la salle d'exposition principale, on retrouve les pièces de mobilier habituelles (chaise longue B306, fauteuil grand confort...), réalisées avec ses acolytes Le Corbusier et Pierre Jeanneret, ou plus tardives.





La scénographie, très aérée (manquerait-il de la matière au propos de l'exposition ?) nous emmène dans l'univers de Charlotte Perriand, au gré de ses promenades et de ses découvertes. Photographies de paysages, de montagnes, de constructions industrielles, d'objets ramassés dans la nature, parfois sous forme de compositions abstraites (que Fernand Léger reprendra dans une de ses toiles, présentée en fin de parcours), sont mises en parallèles avec sa conception du mobilier et de la vie quotidienne : formes libres et épurées, fonctionnalisme.


Quelques plans, brevets et maquettes des créations des années 1930 sont présentés au début de l'exposition, mais aucune découverte majeure pour le visiteur, qui débouche, en sortant de la salle, sur une présentation des rééditions des pièces majeures de Charlotte Perriand par Cassina, qui se trouve être partenaire de cette exposition...
La suite de l'exposition se trouve à l'autre bout du musée : il faut traverser quelques salles permanentes, en passant devant d'immenses photomontages (quoi, quand, pourquoi, on ne sait pas...), avant d'arriver dans les salles présentant le mobilier 18ème. C'est au milieu de superbes meubles à dorures et marqueteries délicates que sont exposées les dernières pièces de mobilier de Charlotte Perriand, ainsi que quelques portraits et citations. Sans commentaire...

Refuge Tonneau, 1938
Devant le Petit Palais
Et c'est seulement en ressortant du musée que l'on découvre le refuge tonneau conçu en 1938 et construit à partir des plans d'époques par l'Association Acte en 2010.

Finalement, cette exposition n'apporte pas grand chose de plus aux oeuvres que nous connaissons de Charlotte Perriand, que l'on retrouve dispatchées au milieu des fioritures Art nouveau et de l'opulent mobilier du 18ème, mais il est toujours très agréable de revoir les collections permanentes du Petit Palais !

Du mardi au samedi de 10h à 18h, entrée de 4 € à 8 €

Charlotte Romer

dimanche 12 juin 2011

Sur la route des Ducs de Bourgogne


Tombeaux de Philippe le Hardi
et Jean sans Peur,
Musée des Beaux-arts de Dijon
Photo Maud Granjean


Depuis quelques années déjà, la ville de Dijon a entrepris de grands travaux de restauration de son musée des Beaux-Arts, et depuis 2003, la rénovation des tombeaux de Philippe le Hardi et de son fils Jean sans Peur.
Quelques rappels historiques : en 1385, Philippe le Hardi fonde la chartreuse de Champmol pour y abriter son tombeau, qui sera réalisé entre 1384 et 1410 (date de la mort du Duc), successivement par les sculpteurs Jean de Marville, Claus Sluter et Claus de Werwe. Jean sans Peur commanda également un tombeau, sur le modèle de celui de son père, qui sera réalisé entre 1443 et 1470 par Jean de la Huerta puis Antoine le Moiturier.












Tombeau de Philippe le Hardi
Détail, pleurants
Musée des Beaux-arts de Dijon
Photo François Jay
La particularité de ces tombeaux, composés d'un gisant et d'un cortège de pleurants situés dans des arcatures, au niveau du soubassement, est la qualité et l'expressivité de ces pleurants, qui ne sont plus simplement représentés en bas-relief, mais sont réalisés comme des sculptures à part entière, glissant dans les galeries d'un cloître, et aux expressions très marquées. Le gisant gagne également en "humanité" : il n'est plus simplement posé, mais réellement allongé sur sa couche. Enfin, chaque pleurant a été sculpté dans de l'albâtre, matériaux particulièrement dur à sculpter.
Detruits et démantelés pendant la Révolution française, puis habilement restaurés au 19ème siècle, les deux tombaux sont enfin remontés dans la salle des Gardes du Palais des Ducs en 1827.
Depuis 1996, une nouvelle campagne de nettoyage, de restauration, mais également de recherches historiques a été menée sur les deux monuments, travaux soutenus en partie par la Fondation Getty de Los Angeles, le reste ayant été financé par la Direction Générale des Affaires Culturelles (DRAC) de Bourgogne.





Tombeau de Philippe le Hardi
Pleurant
Musée des Beaux-arts de Dijon
Actuellement, le musée des Beaux-Arts est lui-même en travaux, jusqu'en 2014. La salle des Gardes est fermée au public, mais les visiteurs auront la chance, jusqu'à la fin des travaux, de pouvoir admirer les 39 pleurants du tombeau de Philippe le Hardi, alignés dans de grandes vitrines en forme de L. Et c'est seulement de cette manière, à hauteur des yeux, que l'on peut découvrir la beauté et la finesse du travail des trois sculpteurs : chaque pleurant offre une expression et une position différentes. Même les visages à moitié cachés par les capuchons des soutanes ont été sculptés dans les moindres détails ! Il faut alors se baisser pour en admirer le travail, tout comme celui des mains de certains des pleurants, dont les veines sont très délicatements sculptées.
Des bornes interactives permettent au visiteur de connaître l'histoire des Ducs ainsi que celle de leurs tombeaux, jusqu'à nos jours, très bien commentée et illustrée.
Les pleurants du tombeaux de Jean sans Peur sont, quant à eux, en tournée dans sept musées américains depuis mars 2010, et sont déjà passés par New York, Saint-Louis, Dallas, Minnaepolis et Los Angeles. Les très demandés pleurants finiront ce voyage fin 2012 à Cluny, avant de rejoindre les collections du musée de Dijon.



A découvrir rapidement !

Musée des Beaux-arts de Dijon, Palais des Etats de Bourgogne, de 10h à 17h sauf le mardi, entrée gratuite.

Charlotte Romer